Ces Super Héroïnes Urbaines

June, 2015

Je vais parler de mon super-héros. Ou héroïne plutôt. Non, je ne parle pas de CatWoman, ni de Jeanne d'arc. Mais de la célibataire autour de la trentaine. Cette fameuse. Celle qui vit seule, fait ses courses (si elle a le temps et le courage), paie son loyer qui coute exactement un tier de son salaire, ouvre son frigo et "mange" une bière au diner parce que c'est le seul machin qui n'est pas périmé dedans. Cette fameuse meuf qui ne se soucie plus de sortir ces talons à un samedi soir. Elle est belle, intelligente, courageuse, même si elle récupère un ride de plus avec chaque réunion et chaque "date" catastrophique.

C'est une femme, qui se sent encore une fille, mais elle a l'impression d'être une mamie quand elle rentre à 5h le dimanche matin. Elle prend l'Uber à 22h, parce qu'elle peut le payer, mais elle se sent quand même un peu mal d'être aussi flemmarde. Elle paie pour ces boissons, elle ne court après personne et elle décide. Elle peut et elle veut. Elle ne regarde plus les couples avec jalousie, ni avec un sourire...elle ne les regardes plus tout court.

Elle marche la tête haute et le dos courbé sous le poids...de rien. Parce que le grand RIEN, c'est chiant. C'est le sentiment le plus fatiguant. Parfois il ne se passe rien du tout. Ni de drame, ni d'amour, ni de soucis d'argent. Aie. Mais quel horreur!

Pour elle, les valeurs sûres sont les suivantes: un verre d'alcool (peu importe quoi), un bon dîner (parfois peu importe avec qui), son paquet de clope (si le putain de tabac ne ferme pas devant ses yeux) et ses copines extraordinaires, avec leurs histoires ordinaires à elles. Elle aime ses valeurs, elle s'accroche à ces choses, ces gens là. Mais sinon, que faire d'autre? Elle doit s'accrocher à quoi exactement? Aux rêves? Elle en a déjà consommé trop. A l'idée d'un fichu mec? Alors là, ca serait vraiment con! A son augmentation? Bon, peut-être. A la pression sociale? Absolument pas! Ca, c'est la vie, sa vie, parfois grise, parfois froide, mais belle et brillante...comme les toits de Paris sous la pluie.

Le matin, elle met deux réveils, elle regarde son téléphone, la météo, son compte bancaire, elle déprime déjà avant filer sous la douche, elle choisi soigneusement la tenu en quoi elle ne va probablement rencontrer personne intéressante et en quoi elle va un peu renoncer à ses rêves pour une autre journée perdue, ou gagnée, qui sait.

Elle slalome dans la foule, elle dit "merde", elle dit "putain", puis elle rate le RER. Elle est en retard, mais en fait elle s'en fout..et alors ça change quoi? Bon, rien. Elle stresse quand même, c'est ancré, c'est obligé, c'est Paris. Il faut stresser bordel, sinon on a l'impression de ne pas vivre, hein?

Elle sort son livre, pas de place pour lire debout, elle le remet dans son sac. Il reste 400 pages, on est en février, elle ne compte pas de le finir avant mai. Elle regarde son reflet dans le vitre de la porte rayé de la rame. "C'est quoi cette tête là, tu n'a pas encore compris que c'est ça la vie de l'adulte? Et oui, c'est la même chose tous les jours ma fille. Regardes-toi bien dans ce miroir urbain. C'est là où tu dois te débrouiller comme une grande. Paie tes factures, encaisse les chèques et les gens cons, lave tes vêtements de temps en temps, maman ne va pas le faire!" Elle a déjà faim...le café sans lait le matin, c'est comme la vie sans compagnie...noir.

"La rame stationne entre Gare du Nord et Chatelet les Halles". Great! Veuillez nous excuser pour la gène occasionnée, cette fille ne pige rien de la morale de cet fable pour adulte. Elle attend patiemment donc. Pendent une minute. Après deux minutes, elle devient impatiente. "Arrête de t'énerver!!" Elle ferme ses yeux pour se détendre. Tout ira bien. Ou pas. "Mais tu n'as pas encore l'habitude que parfois ca ne va pas??" On part, le voyage continue. Entre quatre inconnus, elle retrouve la chaleur humaine et la solitude du matin. C'est comme la solitude de soir, juste plus bruyante et plus chaude. C'est tout.

Elle marche avec son gros sac et son petit humeur. Ca caille. Elle n'aime pas l'hiver, et puis ça coute cher le chauffage électrique quand on n'a pas de mec dans le lit. Et ca va rester comme ça encore pendant les mois. Ca s'appelle l'hiver, ca s'appelle Paris, ca s'appelle le célibat. "Ne t'arrête pas ma 'tite, ne t'inquiète pas, le travail t'attend, ca va bien te réchauffer le coeur et te faire oublier toute cette solitude urbaine. Tu seras tranquille pour quelques heures et libre de tes pensées tordues."

Quand elle sort du travail, elle met son capuche et elle chante sous la pluie. Mais elle en a rien à foutre de ce que les gens pensent. L'avantage des trentaines: le "jefaiscequejeveuxtisme". Elle a le ventre vide, la tête lourde et l'esprit libre. Hop, un petit verre de Cote du Rhône, deux, une blanche, quelques clopes et les conversations qui sauvent le monde, son monde. C'est ça l'amitié. La vraie. On se plaint, on se soutient, on se fout de la gueule des mecs, des chefs, du monde, on se tape des fous rires, on s'embrasse, et puis on appelle un Uber. Les bons réflexes quoi. Oui, il faut se lever tôt demain.

Dans la voiture, elle regarde les toits de Paris, la tête penchée en arrière comme une gamine. C'est beau quand même toute cette architecture hausmanienne. Ca brille partout. Comme ses yeux à cause du vin. "Ah vous avez 32 ans, mais vous le faites pas du tout! Et vous n'avez pas de famille?". "Non, Monsieur le chauffeur d'Uber que je n'ai jamais rencontré". La psychothérapie à deux balles dans la nuit. Thanks, but no thanks!

Elle regarde son téléphone. Rien, nada, zero, pas d'ange gardien, pas de chevalier blanc...ou noir. Pas de racisme s'il vous plait! "Ca va?" "Il t'a répondu?" "Et non, c'est un connard" "je suis d'accord, laisse tomber" "Okay" Elle laisse tomber...ses clés. Shit. Elle ne comprend plus rien. Ni les guerres, ni l'augmentation des taux de chômage, ni les hommes. Elle sait juste une chose: demain, c'est un autre jour. Merdique ou pas, mais c'est le sien et il faut bien le vivre. Bon, il ne faut pas, mais ça serait stupide de ne pas bien le faire. "A toi le lit toute seule!".

Le ventre encore vide, elle sort le reste de l'apéro de week-end dernier, le fout à la poubelle avec le même geste. Pourri. Tant mieux, de toute façon, il parait que ce n'est pas bien de manger après 18h. Il est minuit, c'est un autre jour, ça ne compte plus donc. Elle grignote des chips, elle finit son paquet de Marlboro.

"Et oui, si tu fais pas les courses, tu va encore manger chez le traiteur de coin demain soir." Enfin, ce n'est pas très grave, il accepte avec plaisir les tickets restos de 10 balles. Que Dieu bénisse ce M Yang avec son poulet au basilic et ses nouilles aux légumes. "Et puis, au moins tu ne deviens pas grosse. Il faut le dire que la clope fait aussi son travail. Tu vas crever à cause de tes poumons noirs et tes pensées grises, mais au moins tu vas faire tout ça en taille 34!". Donc voilà, il y a bien deux cotés de cette brillante pièce.

Elle enlève son maquillage et toute la connerie de la journée avec. Elle se regarde. Hello! C'est moi. "Tu as un problème? Ca ne va pas la tête? Pourquoi tu as l'air si triste et fatiguée avec tes lèvres rougies par le vin? Mais tu n'as pas vu toute la drame dans le monde? Tes drames n'intéressent personne! Regardes-toi bien ma poule. Tout va bien, tu es debout, tu es vivante, tu te débrouille plutôt pas mal. Oui, certes, un peu plus vielle, un peu plus solitaire, un peu plus conne que tu voudrais. Et alors? Sois fière! Tu es sotte, ce sont les meilleures années de ta vie!" Bon, d'accord. Elle met de la musique et elle danse une bonne dernière. Seule, dans son pyjama authentique et moche. Elle sourit....parce qu'elle s'en fout de ce que les autres pensent au final.

Elle éteint la lumière, ferme les rideaux et ouvre ses yeux. Silence. Ses seules compagnes sont les ombres de son studio et ses pensées réalistes. Il est temps de rêver. Derrière ses paupières il y a un film qui commence. Elle pense à un monde meilleur, à un appart plus grand, à une carrière plus prometteuse, à un homme qui répond aux textos (et oui, il lui faut peu à cette nana), à un voyage au bout du monde...de son monde. "Enfin, tu as de la chance ma biche. Seule, mais libre enfin. Folle, mais pas ennuyée. Parfois triste, mais au moins pas mal accompagné. Pas comprise...mais ca ne te dérange plus"

Elle n'a pas grande chose à part ses vêtements, sa carte Navigo et ses histoires folles à raconter, elle appelle personne chéri à part son ordinateur, son Siri, mais enfin, elle a quelques choses qui n'ont pas de prix...La Liberté et l'Amour propre. Les fameux. Avec un grand L, un grand A. Parfois fatigants, parfois tristes...mais tellement importants!

Ce sont les pouvoirs de cette super-héroïne à moi...

Elle...c'est toi, c'est moi, c'est nous